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AU BOUT DU MONDE EN AUTO-STOP

"J'ai laissé de la vaisselle dans l'évier et de la nourriture dans le frigo". Órion Lalli - 1ère "image" post-exil.

Depuis que j'ai quitté précipitamment ma maison au Brésil pour demander l'asile en France, une phrase me martèle la tête : " J'ai laissé la vaisselle dans l'évier et de la nourriture dans le frigo ", presque quotidiennement, " J'ai laissé la vaisselle dans l'évier et de la nourriture dans le frigo ". Ce n'est que maintenant, presque un an après mon arrivée en France, que j'ai décidé de travailler avec l'image de cette phrase si symbolique, si sincère et qui sert de point de départ à la création de cette performance au Festival Actoral au MUCEM.

Mon corps est ma maison, c'est un temple, un lieu d'affection et d'accueil. L'architecture résidentielle, surtout dans les moments de crise mondiale, marque historiquement la façon de penser à la maison et je peux observer comment l'isolement social engendré par la pandémie de Covid-19 par exemple, a reformulé l'idée de ce qu'est "être en sécurité", ce qu'est la maison, l’accueil, et ce qu'est l'affection, pour toute la société.

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" Un lit nous voit naître et nous voit mourir ; c’est le théâtre variable où le genre humain joue tour à tour des drames intéressants, des farces risibles et des tragédies épouvantables. C’est un berceau garni de fleurs ; c’est le trône de l’amour ; c’est un sépulcre.”

 

Xavier de Maistre - Voyage autour de ma chambre

Je dois d'abord élargir le contexte du mot "exil", qui est aujourd'hui officiellement décrété par le gouvernement français qui me reconnaît comme réfugié. Il est important de remonter dans le temps pour reformuler ce contexte qui me fait penser que ce même exil qui me traverse aujourd'hui, a toujours été sournoisement présent dans mon corps, qui dès son plus jeune âge vit un isolement social et un exil de la société cisgenre, que ce soit dans les relations familiales, à l'école, avec les connaissances ou les amis, où j'ai toujours expérimenté l'idée d'isolement social.

 

C'est pourquoi il est nécessaire de sauver mes souvenirs d'enfance, à commencer par les jeux à la maison avec mes frères et sœurs et toute la relation avec la construction de ce que je suis aujourd'hui.

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Comment accéder symboliquement à ma vieille maison ? Quelle serait aujourd'hui, depuis l'autre côté de l'océan, ma version de cette maison imaginée, surréaliste ? Comment utiliser mon idée bruyante de l'esthétique brésilienne et de sa profusion de formes pour construire ce corps/maison ?

I – Collectionneur

 

En accord avec l'image de la phrase "J'ai laissé la vaisselle dans l'évier et la nourriture dans le frigo", et en mettant en pratique mon répertoire de réappropriation d'objets, je décide de faire une liste de certains de mes principaux souvenirs et de les matérialiser à travers différents objets quotidiens qui sont allégoriquement liés à certains de mes souvenirs.

 

Les objets sont placés individuellement dans des sacs en plastique scellés sous vide, créant ainsi différentes perceptions métaphoriques. Une façon de toucher et de revivre ma maison, mon affection, en revisitant la petite boîte à souvenirs pour continuer à vivre, en faisant un parallèle avec la folie de collecte de ces fragments de souvenirs d'un éventuel "Voyageur Collectionneur de Souvenirs", qui plastifie soigneusement ses souvenirs, stocke tout ce qui est symbolique pour durer le plus longtemps possible en les protégeant de l'environnement extérieur, en construisant sa collection privée de souvenirs sectorisés, catalogués, en préservant son odeur, ses imperfections et son contenu affectif, créant un corps qui marche avec ses souvenirs exposés, un corps affirmé qui porte sa trajectoire là où il va, resignifiant l'idée de cette "maison qui bouge", d'une maison qui marche dans une sorte d'univers fantastique, où le monde entier tient dans ce corps/maison.

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II - Le vol. La liberté.

 

Mon grand-père m'a dit un jour que les avions étaient comme de grands oiseaux de fer, et lorsque je regarde le ciel et que je vois ces oiseaux, le mot liberté me vient immédiatement à l'esprit. Suis-je vraiment libre dans cet exil qui m'entoure depuis mes plus lointains souvenirs d'enfance ?

 

Quand j'étais enfant, mon père a construit un grand avion en carton dans lequel nous pouvions jouer à le faire voler. Je me souviens que nous nous amusions beaucoup, qu'il y avait des bagarres et que nous étions impatients de savoir à qui revenait le tour de piloter l'engin.

Dans cette nouvelle performance, je décide de construire le avion en carton, avec les mêmes couleurs, mais cette fois avec deux sièges afin de pouvoir offrir un tour aux visiteurs du musée, leur offrant un petit "jeu d'enfant", et créant une relation avec le spectateur/visiteur sur le fil tendu de ce qui est réel et ce qui est fictif.

 

Je prête aussi mon corps pour donner vie à ce "Voyageur Collectionneur de Souvenirs" : il sera le pilote de cet avion, il est le pilote de cette possibilité de liberté remplie de ses souvenirs les plus anciens, matérialisés et exposés dans les sacs en plastique emballés sous vide.

III - Souvenirs

"Félicitations, vous venez d'acquérir un de mes souvenirs."

 

J'ai fait un petit dossier avec de vieilles photos, des petits textes et tous les souvenirs cartographiés et matérialisés dans ces objets emballés sous vide. Vingt-sept ans de souvenirs accumulés !

 

*Aux spectateurs/participants de la performance tenue au Mucem et qui ont  reçu mes souvenirs :

 

Je vous demande de prendre soin de ce souvenir qui est le mien et qu'il vous en apporte beaucoup d'autres. Mettez ce souvenir dans un cadre, accrochez-le dans le salon, dans la cuisine, dans la salle de bains ou là où vous pensez que c'est le mieux, mais ne laissez pas ce souvenir mourir.

Souvenir I

Mon grand-père est mort d'un cancer et ce fut une mort très rapide, moins de 4 mois après la découverte de la maladie. Je me souviens des tubes de nourriture qui passaient par son nez. Encore à l'hôpital, il me dit : " Mon fils, je voudrais manger par la bouche ! C'est bon de manger par la bouche". Mon grand-père n'avait pas de dents et avant qu'il ne tombe malade, son repas était : des pâtes au thon et de la bière. Tous les jours le même menu. Lorsque ma sœur numéro 4 - Ana Júlia - est née, je me souviens que mon grand-père lui a mis une pomme dans la bouche et lui a dit : "Regarde le petit avion ! Il est sorti de l'hôpital et, entre toutes les seringues de médicaments, ma mère lui donnait à manger par des tubes dans le nez et un jour, au cours d'un de ces repas nasaux, il a dit "Regarde le petit avion !". Ma mère injectait la nourriture liquide par le tube et essayait de couvrir ses larmes pour qu'il ne la voie pas pleurer. Aujourd'hui, ce que je mange le plus ici en France, ce sont les macaronis au thon !

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Souvenir II

J'ai besoin d'aller chez le dentiste et d'avoir un appareil dentaire à nouveau ! J'ai toujours eu des problèmes avec mes dents parce qu'elles étaient très tordues et que mes canines était super pointues, à tel point que j'ai demandé à mon dentiste de me limer le dessous des dents. Quand j'avais environ 4 ans, mon père m'a surpris assis sur le canapé, la jambe ouverte, en train de manger un tube de dentifrice aromatisé aux fruits : "Au moins, tu chies avec une bonne odeur! C'est peut-être pour ça que le dentifrice doit être gardé hors de portée des enfants", m'a dit mon père.

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Souvenir III

Un souvenir posthume en vaut-il la peine ? J'ai huit frères et sœurs, avec moi nous sommes neuf. Je suis l'aîné de tous, sauf que je n'étais pas censé être le frère aîné. Nivea (une des nombreuses petites amies de mon père) est tombée enceinte peu avant que ma mère ne tombe enceinte de moi. C'était une fille qui devait s'appeller Isabel. Mon père continue d'honorer son esprit. Un ami m'a dit un jour que si une âme meurt avant d'atteindre la terre, elle ira au prochain corps né dans cette famille. Peut-être que je suis Isabel.

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Souvenir IV

Le premier jour de l'école maternelle, je n'ai pas pu sortir de la voiture parce que mes jambes ne pouvaient pas bouger, mon corps était mou, puis j'ai commencé à ne pas voir ce que le professeur dessinait au tableau. Mon père m'a emmené chez l'ophtalmologue. "Lis cette ligne !" dit le docteur. Et j'avais tout faux. Mon père, désespéré, pensait que j'allais devenir aveugle. Après que le médecin ait dit à mon père que c'était juste psychologique et peut-être lié à l'anxiété scolaire, il a suggéré que je mette des lunettes placebo. J'ai besoin de lunettes aujourd'hui, mon père m'a dit que c'est une punition pour la peur que je lui ai faite quand j'étais enfant, mais je pense que c'est la peur de voir la vie comme ils voulaient que je la voie.

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Souvenir V

La première fois que j'ai pris ce médicament au Brésil, j'ai appelé ma tante Marlene et je lui ai dit : "Tata, je vis avec le VIH et je vais commencer le traitement maintenant." La veille, elle m'avait appelé pour me demander si je travaillais dans la prostitution. J'ai pensé qu'il valait mieux lui dire la vérité que je vivais avec le VIH car je suis déjà une prostituée artistique. Ma tante Marlene ne m'a pas parlé depuis deux ans, à cause de l'histoire du statut de refugié politique "Tu as sali le nom de la famille et ton grand-père se retourne dans sa tombe". C'est la dernière fois que nous avons parlé.

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Souvenir VI

Ma peur des chevaux remonte à bien avant que je n'en rencontre un personnellement. Petit, je voyais toujours le dessin que mon père avait fait d'un cheval ailé pour mon grand-père, puis, adulte, j'ai entendu parler d'une histoire qui s'est passée à Garça, près de Marília. Mon père et Telma (une de ses nombreuses petites amies) montaient à cheval quand soudain ils se sont mis à courir à toute vitesse "C'était comme une Olympiade !" dit mon père, après un certain temps à galoper à grande vitesse le cheval de Telma a heurté un cocotier. Elle s'est coincé la jambe puis est tombée, ce qui lui a valu de passer un long moment à l'hôpital bandée de la tête aux pieds. De nombreuses années ont passé, je suis sortie avec un cow-boy et c'est là que je suis monte à cheval pour la première fois, comme dans une magnifique scène romantique du film "Le secret de Brokeback Mountain".

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Souvenir VII

J'ai eu l'appendicite au lycée, j'ai eu des douleurs terribles pendant une semaine juste avant le nouvel an. Ma belle-mère m'a fait marcher dans tout le supermarché en disant que c'était des gaz, que je devais faire de l'exercice et que ça passerait bientôt. J'ai passé le réveillon du Nouvel An chez ma tante médecin, et avant de sortir de la voiture, mon père m'a dit "Ne dis pas à tata que tu as mal, tu vas gâcher le réveillon de tout le monde". Cette nuit-là, je n'ai rien mangé car la douleur était insupportable. Le premier jour de l'année, je me suis précipité à l'hôpital et mon père a dû me raser tout le corps, il a utilisé trois rasoirs car j'étais et je suis toujours très poilu. Je me souviens d'être debout dans une grande salle de bain métallique pleine d'infirmières et de malades qui passaient par là pendant que mon père me rasait le cul, les infirmières disaient "Pas besoin d'être embarrassé, j'ai un fils de ton âge". Toutes les infirmières avaient un fils de mon âge, impressionnant.

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Souvenir VIII

J'ai toujours eu un certain fétichisme pour le Christ suspendu sur la croix. Enfant, j'avais l'habitude d'aller à l'église avec mon grand-père le dimanche et je me souviens d'avoir fixé le Christ suspendu là sur l'autel, presque nu et avec des plaies sur les genoux comme s'il sortait d'une grande orgie, à quatre pattes donnant son cul pendant un long moment jusqu'à ce qu'il s'écorche partout. Juste avant d'arriver en France, je suis resté une semaine chez un ami, me cachant dans une ville éloignée de la mienne, jusqu'à ce que j'obtienne un appartement surveillé par l'ONU et d'autres organisations qui m'ont aidé à venir ici et à demander l'asile. Un de mes amis m'a donné ce chapelet et m'a dit : "Ce chapelet est très ancien et est dans ma famille depuis longtemps, il est pour toi, il est à toi maintenant et ne le transforme pas en art." Désolé mon ami, je n'ai pas pu résister.

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Souvenir IX

J'ai toujours vu beaucoup de "Post-its" de couleur sur la table du bureau de mon père, mais ma belle-mère ne laissait personne les utiliser parce qu'elle disait qu'ils étaient trop chers et qu'ils n'étaient pas des jouets pour les enfants. Nous nous sommes donc contentés de jouer en ligne le dimanche sur le seul ordinateur connecté à Internet de la maison à l'époque, qui n'existait que parce que c'était l'outil de travail de mon père. Pendant le processus chaotique de mon départ du Brésil et de mon arrivée en France, j'ai commencé à rédiger quelques listes avec l'aide de l'avocat (je ne pouvais pas penser à tant de choses par moi-même) et l'une d'entre elles a été enregistrée sur mon téléphone portable. Aujourd'hui, je peux utiliser ces "Post-it" à volonté.

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Souvenir X

J'ai été chez le psychologue pendant sept ans, de l'âge de six à treize ans, parce que j'étais un enfant "sexuellement excité", une expression créée par mes parents pour dire que j'étais très gay. Pendant les séances, j'étais obligé de jouer avec des "jouets de garçon" et avec une famille de poupées en tissu. Pour provoquer Vanda, la maudite psychologue, je changeais les vêtements de toute la famille - papa en robe, maman en salopette de grand-père et je faisais toujours dormir ensemble les poupées du même sexe. Avec les jouets de guerre, je faisais de grandes orgies et j'avais de grands orgasmes en poussant tous les hommes à sucer les bites de leurs amis. C'est vrai, j'étais très porté sur le sexe.

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Souvenir XI

Je dois arrêter de fumer ! J'ai commencé à fumer avec les mégots de cigarettes que mon grand-père laissait dans la maison. Mes deux cousins maternels et moi aimions voler les mégots de cigarettes de mon grand-père, ainsi que les paquets de tabac non finis qu'il laissait dans un sac en plastique suspendu à la fenêtre de la cuisine. Nous avions fait une cachette parmi les briques de l'arrière-cour, en tapissant le sol et le plafond de cette maison improvisée avec du carton et nous nous branlions en fumant tous les mégots de mon grand-père et parfois en roulant les restes de tabac dans du papier sulfite, ce que mon grand-père lui-même nous a appris à faire. Je dois arrêter de fumer.

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Souvenir XII

Dès que je suis arrivée ici en France, j'ai échangé mon ancien traitement contre un qui me rend extrêmement fatigué et très déprimé. Enfant, mon père ne faisait pas vacciner ses enfants car il pensait que le corps se chargeait de tout et que les vaccins étaient contre nature. J'aime les vaccins, j'aime tous les médicaments, car ce sont eux qui me maintiennent en vie aujourd'hui. C'est grâce aux médicaments que je peux partager ces histoires et continuer à vivre. Ce médicament m'accompagnera jusqu'à la fin de 2022 et ensuite je changerai de traitement, deux injections tous les deux mois et adieu les pilules quotidiennes. Beaucoup de technologie.

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Souvenir XIII

Ma mère est tombée enceinte très jeune, à l'époque elle travaillait dans un centre commercial de deux heures de l'après-midi à minuit, et essayait de me donner le plus de lait possible pour que je puisse supporter la faim. Quand elle rentrait à la maison le soir, elle jetait une betterave, une carotte et un morceau de viande dans la cocotte-minute, puis elle passait le tout au mixeur. "Tu mangeais tout comme s'il n'y avait pas de lendemain !", m'a-t-elle dit.

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Souvenir XIV

Je suis né avec des poils dans le dos. J'avais environ huit ou neuf mois lorsque j'ai commencé à me gratter la tête, m'arrachant presque les cheveux. Je n'arrêtais pas de me gratter la tête et mes parents ont alors remarqué que j'étais plein de poux et ils ont dû les enlever un par un. Mon père me tenait sur ses genoux pendant que ma mère, avec un bon peigne à poux, enlevait les poux et les jetait dans le lavabo de la salle de bains. Je n'ai plus jamais eu de poux après cette période. "Fils, tu étais si poilu que tu ressemblais à un petit monstre ours, beaucoup de poils, très poilu en effet, je pensais que tu aurais des poils sur le dos pour toujours, mais après quelques semaines, tout est tombé. Ça doit être pour ça que j'avais des brûlures d'estomac quand tu étais dans mon ventre, ce n'était que les cheveux de ma petite peste", dit ma mère en riant beaucoup.

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Souvenir XV

La veille de Pâques, mes frères et moi avions l'habitude de faire un grand chemin de bâtons de carottes depuis l'entrée de la maison jusqu'á côté de notre lit pour que le lapin de Pâques apporte les merveilleux œufs en chocolat. Cette année-là, Heres - le frère numéro 1 - et moi sommes restés debout toute la nuit parce que nous voulions capturer le lapin et le faire travailler pour nous toute l'année, pour qu'il nous fasse des œufs en chocolat. Cette nuit-là, nous avons vu que c'était mon père qui avait apporté les œufs et qu'il avait aussi coupé les carottes par terre pour que nous pensions que le lapin les avait mangées.

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Souvenir XVI

J'ai toujours été hypocondriaque, je ne sais pas si c'est parce que ma mère adorait les médicaments ou parce que mon père nous a interdit d'en prendre pendant toute notre enfance. Ce qui est drôle, c'est que quand j'étais petit, je prenais en cachette des médicaments contre les maux de tête, même sans douleur, parce que j'étais accro au goût amer, je les cachais sous mon oreiller avec beaucoup d'autres choses que je volais en cachette pour les manger pendant la nuit au lit. Eh bien, maintenant je dois prendre plusieurs pilules par jour pour le reste de ma vie ! 

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Souvenir XVII

J'ai toujours aimé le cirque, j'étais fasciné par les clowns, le Globe de la Mort et les acrobates avec leurs pantalons serrés. Quand je suis allé au cirque pour la première fois, je me souviens d'un numéro où le clown sortait d'une boîte en bois tout écorché, comme si un lion géant l'avait griffé de partout, sauf qu'à la fin, un petit chaton sortait de la boîte. J'ai eu des anniversaires sur le thème du cirque et j'ai même gagné un cirque géant en jouet. Les années ont passé et je suis devenu un artiste, mais aujourd'hui je redoute cet état que le clown apporte à mon corps. Je ne sais pas si je peux être un bon clown, mais j'essaie de me rappeler du désir du petit Orion de 5 ans d'être un clown. J'espère, un jour, récupérer ce désir.

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Souvenir XVIII

Comme j'ai beaucoup de frères, tout à la maison était organisé par couleur. J'ai gardé le bleu, toujours ! Je n'ai jamais aimé cette couleur, mais ma brosse à dents, mes sous-vêtements, de nombreux jouets étaient toujours bleus. Mon frère a eu le vert. Mon père raconte que la première fois que je suis allé à la plage, je suis sorti de la voiture en courant vers la mer et je suis resté là, les bras grands ouverts, essayant littéralement d'étreindre la mer avec mon maillot de bain bleu et tout ce bleu du ciel et de la mer.

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Souvenir XIX

Dans la maison de ma grand-mère, il y avait beaucoup d'assiettes sur le mur encadrant la porte de la salle à manger et j'ai toujours trouvé très étrange que les assiettes soient exposées sur le mur comme ça, pour moi elles servaient seulement pour manger et pas pour la décoration. Elle m'a dit que ces assiettes étaient très précieuses, que c'est pour cela qu'on ne pouvait pas manger dedans et qu'elle les tenait presque toutes de sa mère. C'était l'un de ces trésors cinématographiques retrouvés au fond de la mer dans une épave à Paraty. Aujourd'hui, j'ai plusieurs assiettes suspendues dans ma cuisine, ici en France, mais aucune d'elles n'est sortie du fond de la mer dans un coffre au trésor. Ma grand-mère est vivante, mais elle ne se souvient d'aucun de ses souvenirs et encore moins de qui je suis.

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Souvenir XX

Voici Ana Júlia - sœur numéro 4 - aujourd'hui elle est maniaque du nettoyage, elle prend un bain et met immédiatement la serviette à laver et court l'accrocher à la corde à linge. Il est tout à fait raisonnable que vous n'utilisiez pas deux fois la même serviette pour vous sécher. Quand elle était petite, elle avait l'habitude de prendre toutes les pinces à linge et de les répartir dans toute la maison. Elle jouait à ranger ces pinces à linge dans un seau en plastique. Ici, en France, j'ai demandé à ma mère de récupérer les vêtements que j'ai laissé sur la corde à linge. C'est fou qu'une si petite chose puisse supporter le poids de vêtements mouillés, n'est-ce pas ?

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Souvenir XXI

J'ai eu ma première poupée Barbie quand j'avais 21 ans. Quand j'étais petit, je n'avais que des voitures et des jouets de "garçon". Comme j'avais beaucoup de sœurs, j'ai joué avec leurs Barbies et j'ai pu profiter un peu d'en avoir une à moi. Je lui coupais les cheveux, je lui maquillais tout le visage avec des crayons de couleur, je lui fabriquais des vêtements avec des morceaux de tissu que je volais à ma grand-mère.  Quand mon père m'a vu jouer avec les poupées, il a essayé de me trouver un Ken pour que je puisse être l'homme du jeu, prendre ma petite voiture et emmener les Barbies de mes sœurs en promenade. Ce qu'il ne savait pas, c'est que j'etais excité par Ken, enfin, c'est un autre souvenir.

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Souvenir XXII

Ah, Ken, un des premiers contacts homo-affectifs de ma vie et regardez comme c'est drôle, ce sont mes propres parents qui m'ont donné cette immense possibilité affective qu'ils réprimaient tellement eux-mêmes (rires). J'avais l'habitude d'emmener Ken dans la salle de bain pour prendre un bain avec moi, je lui mettais du savon et je frottais son corps contre le mien comme une éponge. Je ne supportais plus d'être le mari des Barbies de mes sœurs, alors j'ai trouvé une autre figurine masculine, cachée par mon frère, pour faire équipe avec Ken. On allait au centre commercial ou à la piscine chez Barbie, comme un vrai couple gay.

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Souvenir XXIII

De toutes les fleurs du monde, celle que je déteste le plus est la rose. Je pense que c'est très ringard et imprégné d'un symbolisme romantique super démodé. Vous voulez être classique ? Préférez les Lys Blancs, vous pouvez ensuite en faire un bon thé et devenir vraiment fou ! À l'école maternelle, on m'appelait "petite fleur", délicate comme une fleur. Aujourd'hui, en revoyant toutes les photos de mon enfance, je me rends compte que j'ai toujours été un enfant efféminé et qu'au fil des années, toute ma "façon d'être" disparaissait et se perdait dans les voies hétéronormatives. C'est aussi ringard !

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Souvenir XXIV

Sur cette clé USB, je mets tous mes dossiers envoyés à l'OFPRA. C'est la même clé USB que j'ai emmenée avec moi lorsque j'ai quitté ma maison au Brésil pour demander l'asile politique, ici, en France. Quitter cette même maison que j'ai aidé à construire et dans laquelle j'ai passé une bonne partie de mon enfance. Avant mes documents les plus importants étaient dessus et je l'ai mise dans ma valise avec mon passeport et un peu d'argent. Des documents officiels, numéros de téléphone et contacts importants, tout pour que rien ne puisse mal tourner lorsque je franchirai la frontière en France. Aujourd'hui, cette clé poursuit son chemin, comme moi lorsque j'ai fait mes adieux, en quatre heures, à la maison qui m'a vu grandir.

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Souvenir XXV

Mon oncle m'a traité de paon quand j'étais enfant, lors d'un jeu. Je comprends ce qu'il voulait dire, car le paon aime se montrer avec ses plumes colorées, mais je crois que je préfère l'idée d'être comme un cheval miniature avec sa grande crinière et ses couleurs vives. Enfant, j'avais l'habitude de faire du théâtre chez moi avec mes cousins et de demander à chacun de se déguiser avec des habits différents de ceux que nous portions tous les jours. Je vais me laisser pousser les cheveux, comme une grande crinière de cheval avant de devenir chauve et je vais jouer un peu plus au théâtre.

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Souvenir XXVI

La légende familiale veut que ma mère ait essayé de m'avorter quatre fois, je n'ai jamais eu le courage de lui demander si c'était vrai. Moi, je n'aurais pas hésité à avorter, à l'âge qu'elle avait quand elle est tombée enceinte . Au Brésil, l'avortement est illégal. Ma mère a passé toute sa grossesse en danger de mort et allongée dans un lit à cause des méthodes dangereuses qu'elle avait utilisées pour essayer de m'avorter. Maman, je suis là et je te promets que ta grossesse en vaudra la peine, désolé d'arriver comme ça en pleine adolescence et de bouleverser ta vie.

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Souvenir XXVII

Ma soeur numéro 2 - Carol, a toujours pensé plus lentement que moi et mon frère numéro 1 - Heres. Un jour, nous avons volé des pièces dans le sac de maman. Carol en avait dans sa tirelire, nous avons décidé de lui dire que la pièce de vingt-cinq centimes valait plus que celle de cinquante centimes, alors nous avons échangé presque toutes les pièces avec elle et nous avons acheté beaucoup plus de chewing-gum. Lorsque je suis arrivé ici, en France, il ne me restait que quelques pièces de Réal, qui étaient juste bonnes à raconter cette histoire. Carol, quand tu viendras me voir, je te promets de t'acheter une glace.

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Souvenir XXVIII

Je ne sais pas pourquoi j'ai les clés de ma maison du Brésil dans la poche de mon sac à dos. Peut-être c'est la pensée qu'un jour j'y retournerai, ou par peur de n'appartenir à aucun endroit. La clé de la maison qui me voyait jouer sur le balcon, la clé de la porte qui se bloquait toujours et ne tournait que deux fois dans la serrure. La même clé qui est tombée dans l'égout pendant les jeux du carnaval. Tu me manqueras quand, ivre, je rentrerai à la maison et je ne trouverai pas le trou de la serrure.

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Souvenir XXIX

Pendant la pandémie de Covid-19, j'ai eu un syndrome de panique. Après la censure, les accusations de crime et les menaces de mort, est venue la pandémie. À cause des menaces, j'ai quitté mon domicile et l'isolement social m'a plongé dans une profonde dépression. J'ai dû prendre beaucoup de médicaments pour m'en remettre. Je ne mangeais pas, ne dormais pas, je m'asseyais juste devant la télévision et je regardais la vie passer comme une plante dans la maison de ma grand-mère. J'ai demandé de l'aide à ma belle-mère et je suis restée deux mois chez elle à dormir dans le salon. Elle m'a beaucoup maltraité quand j'étais enfant, mais en voyant ma situation, elle s'est excusée. J'ai ressenti beaucoup de colère à son égard, mais aujourd'hui je pense que notre relation s'améliore.

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Souvenir XXX

Le VIH est un cadeau que la vie m'a fait et j'ai toujours aimé recevoir des cadeaux. Comme j'ai huit frères et sœurs, au fil du temps, les cadeaux sont devenus de plus en plus rares. Imaginez combien d'argent il faut pour acheter des jouets à tant d'enfants et au Brésil, tout est beaucoup plus cher. Aujourd'hui, je constate que, même si beaucoup de mauvaises choses sont arrivées par le simple fait de parler du VIH, je peux penser à un beau cadeau pour l'avenir. J'ai aussi d'autres textes dans mon blog sur ce cadeau de la vie, allez-y et lisez-les !

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Souvenir XXXI

L'injection dans les fesses, j'ai toujours détesté ça depuis que je suis enfant, je hurlais de douleur et de peur quand je devais faire une injection. Aujourd'hui, je crie encore de douleur et de peur lors des contrôles de routine, mais maintenant, dans ma propre tête. Je suis arrivé en France avec un cas grave de gonorrhée et de chlamydia, j'ai donc commencé du bon pied en prenant de bonnes piqures. Note : Faites-vous tester pour les IST.

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Souvenir XXXII

J'ai changé beaucoup de couches de bébé dans ma vie. J'ai aidé à prendre soin de mes jeunes frères et soeurs, donc j'aime l'odeur de bébé. Une fois, en changeant ma cousine, j'ai enlevé sa couche pleine de caca et j'ai mis du talc sur ses fesses et quand je m'y attendais le moins, elle a lâché un pet puant qui a fait voler la poudre sur mon visage, ce qui m'a beaucoup dégoûté. Depuis ce jour, je fais toujours attention au talc et aux fesses de bébé, les deux choses combinées peuvent causer d'énormes dégâts, croyez-moi ! Cette fois, je ne pourrai pas changer mon neveu de si vite. C'est le fils de ma sœur numéro 8 - Salma, la plus jeune de toute la fratrie et je n'ai pas eu le temps de le connaître.

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Souvenir XXXIII

Chaque fois que nous pouvions réunir toute la famille, mon père organisait une pièce de théâtre avec ses enfants. Une nuit de Noël, nous avons mis en scène la naissance de Jésus, j'étais Joseph, Carol était Marie et Hérès était l'âne. Marie s'est assise sur l'âne et lui, comme un âne, est tombé sur la bouche et s'est cassé une dent. Ensuite ma grand-mère est allée lui faire une tasse de thé et jusqu'à aujourd'hui, chaque fois que je bois du thé, je me souviens de l'âne qui tombe sur la bouche.

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Souvenir XXXIV

J'allais écrire sur de nombreuses choses liées à la pandémie, mais j'ai décidé de ne plus en parler pour le moment. J'ai commencé à regarder les photos de mon enfance et j'ai réalisé à quel point je souriais ou faisais de belles grimaces en bougeant toute ma bouche et mon corps. Je pense que le masque dit beaucoup plus que la relation avec la pandémie, il m'a rappelé que je dois sourire beaucoup plus et faire plus de grimaces pour cette vie ennuyeuse.

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Remerciements

Photos: Sener Yilmaz Aslan

Traduction française: Camille Cousin

Tradiction anglaise: Sara Barrales Reyes

Typographie: Évora Lira

 

- Nino Djerbir

- Márcia Zanette

- Henri Lalli

- Sarita Gorog

- Nicolas Stolypine

- Nataliya Permitina

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